Quel étrange film que Énorme de Sophie Letourneur (La vie au ranchGaby Baby Doll). Étrange dans le bon sens du terme, alors que le film nous propose une prémisse originale dans un cadre très singulier. Mais étrange dans le mauvais sens du terme également, puisque le ton du film est particulièrment difficile à définir. Le résultat est une comédie qui vous fera rire, mais qui vous fera constamment vous questionner à savoir si vous appréciez votre expérience ou non.

Letourneur et Mathias Gavarry nous proposent une histoire qui a des airs de déjà-vu, mais dans un renversement des rôles rafraîchissant. Claire (Marina Foïs) est une pianiste de renom ayant consacré sa vie à sa passion. Son mari Frédéric (Jonathan Cohen) est également son gérant (dans tous les sens du terme). Sa personnalité contrôlante fait en sorte qu’il s’occupe de tous les aspects de la vie de Claire, du booking de spectacles à la prise de contraceptifs oraux. Les deux mènent une vie occupée n’ayant jamais donné lieu à la création d’une cellule familiale. Tout change lorsque, dans la quarantaine, Frédéric décide qu’il veut un enfant. Le hic est que Claire n’a jamais été intéressée par la maternité. Il prend donc les grands moyens pour lui faire un enfant à son insu.

Sans la présence de Foïs et Cohen, Énorme n’est absolument rien. Ce sont les deux points d’ancrage du film, qui font qu’on accepte tant bien que mal cette histoire des plus particulières. Les deux sont à l’opposé l’un de l’autre. Claire est asociale, constamment dans sa bulle en train de penser aux prochaines partitions à pratiquer. Frédéric est un extraverti qui déplace beaucoup d’air. Ensemble, ils forment un couple des plus atypiques dont chacun se comble l’un l’autre. Claire, pour qui la vie en dehors du piano semble la laisser indifférente, délègue la banalité de la vie ordinaire à Frédéric, qui lui trouve des occasions faire rayonner son talent aux quatre coins du globe. Il semble donc tout naturel que, lorsque celui-ci lui apprend qu’elle est enceinte, il lui demande de porter l’enfant tout en lui assurant qu’il en prendra l’entière responsabilité, ce que Claire accepte (un peu à contrecœur toutefois).

La personnalité des protagonistes et le jeu de leurs interprètes sont aux antipodes. Foïs joue avec nonchalance et désintérêt, alors que Cohen joue gros. Très gros. Trop gros, parfois. Qu’importe, c’est vraiment par lui que passe la grande partie de l’humour du film, avec ses réactions quasi enfantines et les situations caricaturales au sein desquelles il se place. Il consolide ainsi son statut d’acteur comique sur la scène française. On pourra se fatiguer de ses réactions trop naïves, mais on ne peut lui reprocher de s’investir à fond dans son personnage. La chimie entre les deux acteurs est palpable, et leur répartie (ainsi que les réactions ébahies de Foïs) font un excellent duo comique.

Énorme nous fera rire, du moins dans sa première moitié. La seconde, tournée plutôt style documentaire, offrira un contraste énorme (pardonnez le jeu de mot) avec l’ambiance précédemment créée. On assiste à de nombreuses scènes à l’hôpital qui semblent plus vraies que nature (si ce n’est que Foïs et Cohen restent dans leur personnage), ce qui donne droit à de drôles de réaction de la part d’une grande partie de la distribution non-professionnelle. Le tournant que le film prend à mi-chemin est aussi intéressant qu’inattendu, mais ne plaira assurément pas à tous. Ce qui devait être une comédie classique devient rapidement une réflexion sur la maternité et la parentalité, dans un film qui ne demandait pas nécessairement ces réflexions. On salue l’effort, le risque plutôt, de Letourneur à cet effet, mais force est d’admettre que ça ne fera pas l’unanimité.

Au final, Énorme est plus unique qu’on ne le croit au premier regard, dans sa forme comme dans son fond. On pourrait être tenté de décrire ce film comme une comédie absurde, mais ce serait oublier l’ultra réalisme de ses scènes médicales. C’est un film particulier qu’il faut voir pour se forger sa propre opinion, mais qui trouvera difficilement son public. Les amateurs de comédies françaises seront probablement déçus par son ralentissement humoristique à mi-parcours, alors que ceux qui n’aiment pas ce genre de films ne daigneront tout simplement pas aller le voir, et passeront donc à côté des qualités du film. Sachez seulement qu’Énorme est plus profond qu’il ne le parait. Au mieux, il vous fera passer un bon moment. Au pire, il vous laissera une singulière expérience de visionnement.

Les images sont une courtoisie de Maison 4:3.

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