Ce qu’il faut pour vivre
Rares sont les réalisateurs québécois qui s’intéressent à la réalité des Premières Nations autant que Benoit Pilon. Avec son premier long métrage de fiction, il s’intéresse à l’épidémie de tuberculose qui a secoué le Québec et la population autochtone dans les années 1950. Son regard authentique, quasi anthropologique, jette la lumière sur une réalité bien particulière.
Le film se situe en 1952. On suit Tiivii (Natar Ungalaaq, mieux connu pour son rôle dans Atarnarjuat: The Fast Runner) qui vit avec sa famille au cœur de la terre de Baffin. Lorsqu’un bateau-clinique fait son approche, il est embarqué et on le soumet à une batterie de tests qui révèlent qu’il est atteint de la tuberculose. On l’amène alors jusque dans un sanatorium de Québec, où il doit être soigné. Étant le seul patient Inuit, il doit difficilement s’adapter à sa nouvelle « vie » entouré de francophones et du clergé.
Pilon et Bernard Émond, le scénariste, semblent avoir porté une attention particulière à rendre crédible le Québec des années 1950. On s’attaque ainsi à un fléau qui a marqué la communauté innue jusqu’à tout récemment. On indique qu’à un point le tiers de cette population avait contracté la maladie au cours de cette décennie seulement. Ce faisant, on fait passer Tiivii par tout le processus imposé aux Inuits à l’époque. Des bateaux-cliniques (initiative instaurée par le gouvernement fédéral pour endiguer les maladies dans le Grand Nord), on passe aux sanatoriums, où 7 à 10% de la population innue a été amenée, souvent de force, pour être soignée. Le choc culturel y est évidemment très grand, d’autant plus qu’en tant que père de famille, Tiivii a le devoir de subvenir aux besoins de sa femme et ses enfants.
Ce choc, on l’observe surtout avec le personnage de Roger (Antoine Bertrand), et dans une moindre mesure avec Joseph (Vincent-Guillaume Otis). Tiivii se liera toutefois d’amitié avec Carole (Éveline Gélinas), une sœur qui a le mandat de prendre soin de lui coûte que coûte. Pour ce faire, elle demandera au jeune Kaki (Paul-André Brasseur), un enfant aussi en traitement à l’hôpital, de servir d’interprète entre les deux. Cela augmentera considérablement le moral de Tiivii dans sa longue lutte vers la guérison.
La tuberculose, bien qu’ayant été une épidémie au Québec depuis les débuts de la colonisation, est une maladie à haut taux de mortalité. Elle prend souvent un à deux ans à soigner, ce qui marque évidemment tous ceux qui la contractent. Pourtant, on ne sent pas la virulence de la maladie chez Tiivii, ce qui nuit peut-être à l’aspect dramatique du film. Certes, on voit certains de ses co-chambreurs succomber à la maladie, mais on ne ressent jamais véritablement son importance. C’est un aspect qui semble avoir été négligé, et qui aurait grandement contribué à ce qu’on s’attache aux personnages.
À cet égard, Ungalaaq interprète à perfection Tiivii et son inconfort face à la situation. Le jeune Brasseur est également excellent, mais le reste de la distribution laisse à désirer, ou du moins demeure sous-utilisée. Il n’y a pas vraiment de trame secondaire au récit, ce qui influe sur le rythme très lent du film. On fait un certain effort pour établir l’amitié qui croît entre Tiivii et Kaki, mais la fin semble précipitée et quelque peu sensationnaliste. De même, la « relation » qui s’établit entre Tiivii et l’infirmière est parfois touchante, parfois fade. Au final, elle devient quelque peu superflue. Les nombreux plans de toundra arctique nuisent eux aussi au rythme du récit, pourtant bien construit.
Ce qu’il faut pour vivre illustre fidèlement un pan de l’histoire québécoise. Toutefois, il peine à véritablement insuffler des éléments dramatiques qui nous feraient vraiment apprécier la dureté de la situation. L’accent est surtout mis sur la réalité historique, et moins sur les personnages présentés. On sent l’influence du film documentaire qui a bâti la carrière de Pilon. Le film est une reconstitution fidèle mais dépourvue de rythme. Un film à analyser dans le cadre d’un cours d’histoire.