Le métier de fermier est l’un des plus exigeants qui soit. Plus qu’un simple emploi, c’est un mode de vie rempli de sacrifices, d’incertitudes et, surtout, de travail ardu. Plusieurs fermiers vivent avec le stress et l’épuisement au quotidien, ce qui fait qu’il y a un taux anormalement élevé de suicides, et de dépressions chez cette population. C’est cette thématique qu’a voulu explorer Édouard Bergeon dans son premier long métrage Au nom de la terre, un film grandement personnel puisqu’elle raconte l’histoire de son père Christian.

Pierre (Guillaume Canet) a 25 ans quand il rentre du Wyoming pour retrouver sa fiancée Claire (Veerle Baetens) et reprendre la ferme familiale. Vingt ans plus tard, Pierre a agrandi la ferme et se montre très ambitieux, parfois un peu trop. Il modernise peu à peu ses installations, mais ces investissements ajoutent des dettes importantes au sein du couple. Vivant maintenant avec deux enfants, Pierre est sur la mince ligne entre espoir et désillusion. Plus les insuccès s’accumulent, plus il s’épuise au travail. Malgré l’amour de sa femme et ses enfants, il s’enfonce peu à peu dans un gouffre duquel il lui sera difficile de se sortir.

Construit comme une saga, le film pose un regard humain sur l’évolution du monde agricole des quarante dernières années. Guillaume Canet y interprète le personnage principal avec une sensibilité à laquelle il nous a habitués avec le temps. De fils aventureux, il devient père aimable et compréhensif, qui souhaite faire les choses différemment de son propre père Jacques (Rufus). En effet, plutôt que de lui léguer sa ferme, son père la lui a vendue, rompant du même coup avec la tradition du legs familial. Tout du long, Jacques sera critique des pratiques de son fils, qui est trop têtu pour laisser son père lui venir en aide.

Toutefois, Pierre fait un effort pour offrir toutes les possibilités à son fils Thomas (Anthony Bajon) qui, s’il étudie en ingénierie agricole, adore par-dessus tout le cyclisme. Plus Pierre découvre les contrecoups de la vie de fermier, plus il incite son fils à choisir une autre voie. Cette relation est la plus intéressante du film, car elle illustre bien le choc des générations. Alors qu’à l’époque de Jacques la passation de la terre de père en fils était coutume, les temps ont changé, alors que Pierre souhaite le meilleur pour Thomas et sa fille Emma (Yona Kervern).

Les interprétations sont toutes très solides, particulièrement celles de Canet, Bajon et Baetens, cette dernière qui brille en tant que mère compréhensive et rationnelle. Elle est littéralement le point d’ancrage de la famille, ce phare pour un Pierre qui s’enfonce et pour ses enfants qui ne comprennent pas ce que vit leur père. Toutefois, si le film est une étude de personnage très bien construite, il faut admettre qu’il ne s’y passe pas grand-chose. Les péripéties sont trop peu nombreuses, et seule la scène finale parviendra à nous émouvoir un tant soit peu. On aurait souhaité plus de scènes fortes en émotion, même s’il faut admettre que la dynamique familiale est présentée ici de façon très crédible et touchante.

Quelques mots sur le visuel soigné du film. Bergeon et son directeur photo Éric Dumont font un très bon travail pour rendre toute la gloire à ce métier souvent stigmatisé. Les gros plans sur les récoltes, le lent mouvement des tracteurs et l’élevage d’animaux sont filmés avec une certaine sensibilité qui inscrit presque le film dans la catégorie des westerns modernes. Ce rapport à la terre est très important, même si on n’en ressent pas toujours toute l’émotion, l’amour.

Au nom de la terre est un film efficace, parfois lent, mais qui ne déçoit pas. C’est une histoire simple, intime et conventionnelle, qui traite d’un sujet difficile et tristement encore d’actualité. Certains trouveront qu’il tombe à plat par moment, mais il a juste assez d’éléments pour combler un public friand de drames sociaux et familiaux. Il sera définitivement intéressant de suivre la carrière de Bergeon dans le futur, car ce film laissera une impression positive auprès du public.

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