Je crois déclarer avant toute chose que je ne suis pas un amateur du cinéma d’Andrei Tarkovsky. Similaire en plusieurs point à celui de Terrence Malick, le cinéma du réputé réalisateur russe se veut très poétique, et repose grandement sur une mise en scène stylée et une direction photo exemplaire. C’est un style que j’apprécie, mais qui « passe ou casse » dans mon cas. Ces deux réalisateurs ne cessent de m’impressionner, mais j’ai beaucoup de difficulté à apprécier leurs films, qui délaissent bien souvent l’histoire au profit du visuel. Andrei Rublev ne fait malheureusement pas exception à la règle.

Le film a connu plusieurs problèmes de production et de distribution, et on comprend rapidement pourquoi lorsqu’on s’attarde à la vie de Rublev, ce moine artiste de la Russie du 15e siècle. Les détails de sa vie sont mystérieux et peu documentés, mais on raconte qu’il aurait eu les yeux crevés vers la fin de sa vie pour avoir osé signer l’une de ses peintures, un geste interdit aux moines à l’époque. Tarkovski, plutôt que de tenter de faire un film biographique sur le peu d’informations connues, décide de monter le scénario en différents segments – 8 au total, auxquels on ajoute un prologue et un épilogue – qui servent moins à présenter en détail la vie du moine qu’à illustrer diverses thématiques se rattachant à Rublev, la religion et l’art évidemment au centre du récit. Le produit final se veut un regard sur l’expression artistique au sein d’un régime d’oppression.

Ce message, porté par les deux Andrei – Rublev au 15e siècle et Tarkovsky au 20e – se lit facilement. Les autorités soviétiques ont bien évidemment fait le rapprochement et c’est pourquoi il aura fallu trois ans pour que le film soit projeté à l’international (faisant sa première à Cannes, hors compétition, à 4h du matin, le dernier jour du festival) et cinq ans pour finalement être accessible en Union soviétique (sans qu’on en fasse la publicité, bien évidemment). Qui plus est, le film a dû être considérablement altéré, et Tarkovsky aura coupé près de 30 minutes de matériel. Mince consolation : il a lui-même pu effectuer les coupures, et non le bureau de la censure. Criterion rend disponibles les deux versions du film sur la plateforme et dans l’édition physique, mais mentionne que Tarkovsky revendique la plus courte version malgré tout, et c’est celle que j’ai décidé de visionner.

Mais revenons au film. S’il ne sert à rien de présenter chaque segment du film, certains sont plus parlants que d’autres, à commencer par le prologue, où l’on voit une tentative d’un scientifique pour lancer une Montgolfière (à défaut d’un meilleur terme) au 14e siècle, ce qui serait un exploit en soi considérant que l’invention n’a été revendiquée par les frères du même nom qu’au 18e siècle. L’expérience est un succès, mais le groupe responsable de l’expérience est attaqué par une foule qui semble vouloir empêcher le lancement. Elle parvient en partie à faire foirer l’expérience, et c’est l’un des multiples exemples que Tarkovsky met en scène pour illustrer la répression créatrice des artistes et scientifiques de Russie.

Andrei Rublev est présenté dans le premier chapitre du film, où il parcourt la campagne médiévale avec Kirill et Daniil. Les trois présentent des artistes aux caractéristiques différentes. Andrei est un observateur, un humaniste qui recherche le bien auprès des gens et qui veut inspirer plutôt que réprimer. Daniil est silencieux et résigné, et plus prompt à l’art réaliste qu’à la créativité. Kirill manque quant à lui de talent en tant que peintre, est jaloux, intelligent et perspicace. Les trois se dirigent vers Moscou. Ce sont les trois personnages principaux, bien qu’ils ne soient pas présents dans tous les segments du film. Le second traite en effet de Théophane le Grec, le mentor de Rublev.

Sans présenter tous les autres segments, le sixième et le huitième sont les plus intéressants du lot. Le premier présente une impressionnante attaque des Tartares sur le monastère où loge Rublev. Digne des plus grandes scènes de Kurosawa (pensons à l’attaque sur le village dans Seven Samurai), Tarkvosky illustre de grandiose façon la destruction causée par les Tartares, rivaux de la population médiévale russe. Le second, dans lequel Rublev est pratiquement absent, présente un jeune homme qui, dit-il, possède les connaissances transmises par son père pour construire une gigantesque cloche qui fera honneur au monastère. On apprendra plus tard qu’il y est allé d’instinct (ou d’illumination), sans connaître la technique au préalable. Un acte divin, rien de moins!

S’il se dégage (comme je m’en doutais) une ambiance visuelle impressionnante, j’avoue avoir trouvé le film long à plusieurs endroits. Il est moins philosophique que Stalker du même réalisateur, mais joue beaucoup sur la poésie et le langage. À cet égard, une deuxième, voire troisième écoute, pourrait rendre justice au film. Il est effectivement difficile à assimiler, puisqu’on doit rapidement faire le choix entre lire et analyser les sous-titres, ou regarder les magnifiques plans travaillés. J’ai pour ma part choisi de délaisser le scénario pour cette première écoute, ce qui ne m’a évidemment pas donné une bonne expérience de visionnement. Je sentais que je perdais prise sur la trame générale du film, et le film s’est avéré plutôt interminable, en raison de l’incompréhension. Je ne peux jeter le blâme sur Tarkovsky concernant le scénario, mais force est d’admettre que j’aurais eu une meilleure expérience si le film avait été en français ou en anglais.

Néanmoins, j’ai trouvé que Tarkovsky s’attardait beaucoup sur ses plans, comme en amour avec son matériel. Les scènes traînent en longueur, et s’étirent souvent quelques secondes (ou minutes) plus longtemps qu’elles ne le devraient. On peut tolérer si cela se produit à une ou deux reprises, mais ici on compte en dizaines. L’objectif est peut-être de donner le temps à l’auditoire d’assimiler l’information et de se gaver de plans majestueux, mais cela rend le film très peu dynamique.

Je suis toujours inconfortable de ne pas aimer un film qui est salué par la critique et qui est considéré comme l’un des plus grands films de l’histoire du cinéma. Je le compare beaucoup à The Seventh Seal à cet égard, puisque ce sont deux films très appréciés qui m’ont déçu. Je demeure toutefois ouvert d’esprit, et serait prêt à le revisionner puisque je sais à quoi m’attendre maintenant, mais je crois que je m’identifie plus à Daniil et son esprit réaliste, pragmatique. J’ai besoin d’une histoire bien ficelée, une histoire que je n’ai jamais vue auparavant, pour vraiment plonger dans un film. C’est probablement parce que je ne me considère pas un artiste que j’ai été peu interpellé par le message du film. Peut-être qu’en 1966, mon expérience aurait été totalement différente. Vu en 2020, Andrei Rublev est plus intéressant pour sa représentation du monde médiéval et pour l’histoire derrière le film que par son message intrinsèque.

Fait partie de la Collection Criterion (#34).

Fait partie des 1001 films à voir avant de mourir.

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