Jackie Robinson est l’un des noms les plus connus du monde du sport américain. Premier afro-américain à avoir joué dans la Major League of Baseball (MLB) au 20e siècle (l’exploit est en fait attribué à Moses Fleetwood Walker qui a joint les Toledo Blue Stockings en 1884), il a inspiré un changement de mœurs dans l’une des ligues de sport professionnel les plus conservatrices. Les équipes à l’époque exclusivement constituées de joueurs blancs sont depuis devenues assez mixtes. Il est donc anormal qu’un film sur sa vie ait autant tardé à se mettre en chantier, alors que l’histoire présente tous les éléments d’un biopic à saveur américaine typique. Spike Lee a été attaché au projet au milieu des années 1990, mais celui-ci a traîné en longueur, démontrant une fois de plus le conservatisme, hollywoodien cette fois. Après que Robert Redford a travaillé ardemment pour que le film voit le jour, c’est finalement Brian Helgeland (surtout connu pour les scénarios de Mystic River et L.A. Confidential) qui a hérité de 42. Choix plutôt étrange, puisqu’on était en droit d’espérer qu’un réalisateur afro-américain puisse finalement rendre hommage à cette légende du sport. En fait, cela aurait probablement contribué à donner une identité à 42, qui en manque outrageusement.

On est ici dans un film biographique typique, avec tous les codes du genre (ou presque). Il s’ouvre avec la rédaction d’un article sur Jackie Robinson (Chadwick Boseman) par le journaliste Wendell Smith (André Holland), qui deviendra d’ailleurs l’un des premiers journalistes afro-américains attitré à la couverture du baseball. Après quelques éléments historiques qui nous situent (et qui veulent renforcer l’insurmontable exploit de Robinson), on retrouve Branch Rickey (Harrison Ford), directeur général des Dodgers de Brooklyn, qui tente de dynamiser le marché de son équipe en signant un joueur afro-américain. N’importe lequel, pour autant qu’il soit jeune et talentueux. Il espère ainsi attirer un auditoire qui n’est évidemment pas attiré vers le baseball en raison de son peu d’inclusion. C’est donc avant tout une décision de business qui motive l’arrivée de Robinson avec l’équipe, du moins le croit-on au début.

Robinson devra faire ses preuves avant d’attendre le grand club. Après un camp d’entraînement houleux en Floride où il doit faire face aux réticences des autorités, de l’auditoire et de ses propres coéquipiers, il est finalement accepté avec les Royals de Montréal, club-école des Dodgers. Le film ne s’attarde absolument pas sur son passage à Montréal, à mon grand dam, évidemment, mais aussi à celui du public. Ce que l’histoire ne dit pas, c’est qu’il a été très populaire au Québec, et a attiré les foules en raison de ses performances (et aussi, avouons-le, auprès d’un public beaucoup moins raciste qu’aux États-Unis). Cela aurait pu alléger un peu l’ambiance du film, parsemé d’insultes du début à la fin. Mais bon, passons…

La grande majorité du film se situe en 1947, année de sa saison recrue avec les Dodgers. C’est un choix scénaristique qui ne surprend pas, puisque plusieurs biographies ont tendance à mettre l’accent sur les plus grands moments d’adversité de leur sujet, puis de résumer en quelques lignes le dénouement de l’histoire à la fin du film. 42 n’échappe pas au moule. J’aurais souhaité qu’on sorte de cette saison recrue et qu’on observe plus en détail sa carrière et son influence. On se retrouve plutôt ici devant un film sur le racisme envers les afro-américains dans un contexte de sport professionnel, plutôt que dans un film mettant l’accent sur son personnage principal, et sur le baseball. Certains diront que c’est mieux ainsi. Pour ma part, j’ai l’impression qu’on ne rend pas justice à Jackie Robinson, qui aurait mérité mieux qu’un récit générique.

Est-il vraiment si générique? À en croire Helgeland, non, puisqu’il a longuement travaillé avec la veuve de Robinson, Rachel, pour s’assurer d’un portrait aussi fidèle que possible. Pourtant, on a l’impression qu’on ne parvient pas à percer l’intimité de la légende, et que le film se résume à quelques moments marquants qui ont été abondamment publicisés auparavant. On dirait en fait qu’on y a ajouté une série de clichés pour rendre le film plus attirant envers le plus grand auditoire possible. Du nombre, on note une demande en mariage dans les minutes qui suivent la signature du contrat de Robinson (alors qu’en réalité il était fiancé depuis 1943), un homme blanc qui semble d’abord menaçant l’arrête dans la rue pour lui dire qu’il croit en ses chances, un coup de circuit frappé au même moment où sa femme apprend qu’elle est enceinte ou encore un jeune enfant dans les estrades qui idolâtre Robinson de la façon la moins crédible qui soit (il dit notamment à sa mère que Robinson a discombobulé l’équipe adverse). Évidemment, ce jeune deviendra un joueur de baseball de la MLB quelques années plus tard. Helgeland semble donc avoir pris une série de faits divers sur sa vie, et a essayé autant que possible de tout condenser en 1946 et 1947, au détriment de la réalité historique. Même les scènes de baseball sont aseptisées, génériques et complètement dépourvues d’une identité propre. Bref, vous voyez exactement de quel genre de film il s’agit.

42 n’est pas foncièrement un mauvais film. Il parvient, je crois, à susciter certaines émotions lors des moments cruciaux (les séries éliminatoires de 1947, ou encore une scène particulièrement lourde où Robinson se fait insulter ouvertement par le gérant des Phillies Ben Chapman (Alan Tudyk)). Par contre, il est particulièrement oubliable. J’écris ce texte au lendemain de ma seconde écoute du film en un an seulement, et j’ai été surpris du peu d’informations que j’ai retenues lors du premier visionnement. À l’époque, il m’avait fait sensiblement bonne impression, mais en le réécoutant avec plus d’attention, j’ai constaté à quel point le scénario est défectueux et hautement malaisant. C’est peut-être seulement moi qui deviens de plus en plus cynique envers les films biographiques, mais 42 m’a semblé particulièrement cliché, et cela a complètement miné mon écoute du film. Soudainement, la moindre éruption de colère de Robinson, ou le moindre moment dramatique me semblait tiré par les cheveux, et j’ai perdu le focus sur le sujet du film. Je ne peux pas témoigner pour l’auditoire afro-américain, mais je peine à croire qu’ils trouvent la représentation de Robinson satisfaisante. C’est un peu comme si on avait fait un film sur Maurice Richard et qu’il s’intéressait plus à la 2e Guerre mondiale et à la Grande Noirceur qu’à Richard et qu’au hockey. L’analogie est un peu boiteuse, mais vous comprenez où je veux en venir. Il faut à tout prix qu’un autre film biographique sur Jackie Robinson puisse lui rendre justice un jour. Mieux vaut tôt que tard.

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