Cette critique a d’abord été publiée dans le journal Le Collectif. Pour consulter la critique originale, cliquez ici.

Sam Mendes (American Beauty, Skyfall) nous livre cette année l’un de ses projets les plus personnels. Après une pause de quatre ans, son plus récent long-métrage revisite la Première Guerre mondiale du côté britannique. Alors que c’est avec beaucoup de pessimisme que son film a été accueilli lors de son annonce, un seul visionnement permet de comprendre à quel point 1917 est unique en son genre. Tourné en plan-séquence, ce film en a surpris plus d’un lorsqu’il s’est vu récompensé du meilleur film aux Golden Globes plus tôt ce mois-ci. Les éloges sont-ils justifiés? Oui, sur toute la ligne.

Deux messagers en territoire ennemi

Le film suit deux soldats britanniques, Schofield (George MacKay, Captain Fantastic) et Blake (Dean-Charles Chapman, Game of Thrones), positionnés dans le nord de la France. Ils sont alors mandatés par le général Erinmore (Colin Firth) d’aller rejoindre le 2e bataillon loin derrière les lignes ennemies dans le but de freiner leur attaque planifiée contre les Allemands, qui leur ont tendu un piège. S’enclenche ainsi une course contre la montre pour ces deux soldats, qui doivent atteindre le bataillon avant le lendemain matin s’ils veulent empêcher cette embuscade qui décimerait plus de 1600 soldats, dont le frère de Blake. Un peu à la façon du messager de Marathon dans la Grèce antique, les deux soldats devront parcourir en un temps record la distance qui sépare les deux bataillons, traversant le no man’s land, les tranchées (heureusement abandonnées) des Allemands ainsi que quelques villes et villages français, détruits par la guerre. Ils devront constamment demeurer alertes s’ils espèrent accomplir leur mission.

1917 n’est pas un film de guerre traditionnel. Contrairement aux Saving Private Ryan et Dunkirk de ce monde, Mendes, puisant dans les récits de son grand-père messager durant la Grande Guerre, entend reléguer l’action au second plan, rendant plutôt un récit intimiste et simpliste de ses deux protagonistes. Il s’intéresse beaucoup plus à ses personnages et à leur parcours qu’aux batailles au front. Dénonçant l’inhumanité de cette guerre (qui a été moins exploitée au cinéma que la Seconde Guerre mondiale), il parvient à présenter un récit original et non sensationnaliste, contrastant avec la plupart des films de ce genre. Il fait également le pari de donner les premiers rôles à de jeunes acteurs relativement méconnus. Ils font un excellent travail et portent le film sur leurs épaules (ou leurs jambes) du début à la fin.

Le plan-séquence au cinéma

Parlons de ce plan-séquence qui fait la renommée de 1917. Pour expliquer brièvement le concept, il s’agit, dans sa plus simple forme, d’un plan de caméra sans coupure ni interruption. Très peu de films dans l’histoire peuvent se vanter d’avoir tourné un film entier en plan-séquence, et 1917 n’en fait pas partie. C’est en effet un exploit très difficile à réaliser, notamment en raison de la présence de l’équipe technique d’un film qui doit constamment s’assurer de bien capter la scène (éclairage, son, etc.) Ce film entre plutôt dans une seconde catégorie, soit celle des films montés pour donner l’impression d’un plan-séquence. Également très difficiles à réaliser, ils ajoutent cependant une certaine marge de manœuvre en cas d’erreurs.

Il est difficile de parler des prouesses techniques de 1917 sans le comparer aux autres films similaires. Deux exemples viennent en tête automatiquement : Birdman or (The Unexpected Virtue of Ignorance) d’Alejandro González Iñárritu et King Dave de Podz. Nous sommes d’avis qu’un tel plan, pour être vraiment efficace, doit être motivé par une intention claire et affirmée qui rend un tournage traditionnel désuet. Alors que pour Birdman cette technique met en abîme l’aspect théâtral du film, dans le cas de King Dave elle rehausse la chasse à l’homme qui y est entreprise. Le plan-séquence de 1917, beaucoup plus ambitieux que ses prédécesseurs, est évidemment justifié par cette intense course contre la montre.

Tandis que Birdman se déroule au sein d’un théâtre (soit dans un espace assez restreint, malgré les brèves scènes extérieures) et est monté comme un plan-séquence (contenant 16 segments au total), King Dave alterne entre métro, appartements et scènes extérieures nocturnes en un seul plan continu. 1917 emprunte les techniques de ces deux films. Le vrai plan-séquence est dû au montage (avec une coupure nette et assumée au milieu du film). Toutefois, les scènes se déroulent en alternance à l’intérieur et à l’extérieur, le jour comme la nuit. Cela ajoute grandement au coefficient de difficulté, ce que les autres films ne se sont pas risqués à faire jusqu’à présent. Assurer la continuité de la lumière du jour, de la température et de la couverture nuageuse entre les scènes diurnes est une tâche colossale, d’autant plus que les protagonistes sont rarement au même endroit pendant plus d’une dizaine de minutes. La pluralité des lieux, des environnements, des situations et des temps de la journée ajoute une complexité que peu ont su déjouer dans l’histoire.

À ce chapitre, Mendes et son directeur photo Roger Deakins (qui a fréquemment travaillé avec Denis Villeneuve et qui s’est vu récompensé d’un Oscar pour Blade Runner 2049) ont su relever le défi avec brio. Le travail de cette équipe est tout simplement magistral. En plus d’avoir coordonné ces scènes à grand déploiement, ils sont parvenus à rendre le visuel très esthétique à l’écran. On passe du brun terne des tranchées au vert éclatant des prés français, du gris des champs de bataille à l’orange des villes en flammes. La scène nocturne à elle seule démontre l’étendue de leur vision. En faisant survoler une fusée-éclairante au-dessus d’une ville en ruine, ils parviennent à bien illuminer la scène tout en créant une ambiance angoissante extrêmement efficace. Cette scène, parmi tant d’autres, n’est qu’un des incitatifs à aller voir 1917 en sur grand écran. À moins d’une surprise majeure, chacun d’eux recevront leur seconde statuette en février prochain.

Le film de l’année?

1917 a tous les attributs pour remporter l’Oscar du meilleur film. Des aspects techniques inégalés, une histoire universelle et originale (malgré des dialogues peu inspirés), une ambiance sonore et visuelle envoûtante… Tant d’éléments qui contribuent à l’élever auprès des plus grands films de guerre de l’histoire. De négligé, il est désormais, à notre avis, favori pour remporter les grands honneurs et répéter l’exploit de Birdman en 2015. Il ne faut toutefois pas discréditer The Irishman, Parasite et Once Upon a Time… in Hollywood, tous de sérieux prétendants.

Fait partie du top 50 de Camille (#6).

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Fait partie du top 250 d’Alexandre (#92).

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