Cette critique a été rédigée dans le cadre de l’édition 2020 du Festival cinéma du monde de Sherbrooke.

Les films néo-réalistes ont décidément la cote depuis quelques années, tout comme l’utilisation du plan-séquence, que l’on a pu apprécier dans un film comme 1917 tout récemment, par exemple. The Body Remembers When the World Broke Open a connu un certain engouement au plus récent Toronto International Film Festival, où il a raflé une mention honorable comme meilleur long métrage canadien. Si le film est quelque peu sombré dans l’oubli avec le succès critique et commercial d’Antigone, il demeure toutefois un petit bijou criant de vérité.

Rappelons brièvement les grandes lignes du récit. Deux femmes indigènes d’origines très différentes – Rosie (Violet Nelson) et Áila (Elle-Máijá Tailfeathers) – voient leurs mondes se heurter alors que Rosie fuit une violente agression domestique. Ce qui commence comme une fuite urgente et terrifiante se transforme alors que les femmes tissent un lien fragile dans le peu de temps qu’elles passent ensemble, tout en naviguant dans les complexités de la maternité et de l’héritage permanent du colonialisme.

La force du film réside dans sa capacité à nous faire sentir comme un observateur silencieux de cet après-midi fort en émotion. On ne se montre pas alarmiste ni vengeur (des réactions qui pourraient nous sembler normales), mais on souhaite plutôt faire ressortir l’empathie et l’écoute, en plaçant la victime au centre des préoccupations. En fait, un mot d’ordre sert de fil directeur à tout le film : authenticité. C’est ce qui explique l’utilisation du plan-séquence, pas tout à fait nécessaire, mais qui accentue la durée réelle de l’événement. Les performances sobres et douces des deux interprètes accentuent le côté réaliste du film. Elles ne surjouent pas, et leurs dialogues sont à la limite banals. On parvient à alléger la lourde atmosphère du film, notamment dans la scène de taxi. Ce n’est cependant qu’un bref moment de gaieté, une mince réjouissance, avant de sombrer à nouveau dans la dure réalité du film. Rarement un film n’aura paru aussi vrai, dans sa beauté comme dans ses frustrations.

Frustration. Le mot est juste pour résumer le dénouement de l’histoire. Même quand on sait qu’elle représente plus la norme que l’exception dans ce genre de situation, on ne peut s’empêcher de la trouver décevante. Ou triste, plutôt. Le film ne nous donne pas toutes les clés pour bien saisir pourquoi on arrive à cette finalité, mais démontre encore une fois toute l’imprévisibilité et l’irrationalité de l’être humain. C’est un film sans jugement, qui tente plutôt de sensibiliser son auditoire aux situations de violences conjugales. Il y aurait eu des dizaines de façons de présenter cette histoire. La version proposée par les réalisatrices est probablement la meilleure, du moins la plus sensible.

C’est un film qui ne plaira assurément pas à tout le monde. Il est dynamique, mais a peu d’éclat. Il possède toutefois la qualité unique de véritablement capter notre attention tout du long. Il est pour la violence conjugale ce que Never Rarely Sometimes Always (récemment primé à Sundance) est pour l’avortement. Ce film agrippera les amateurs et amatrices de drames sociaux poignants, et vous proposera des pistes de solutions si vous êtes victimes ou connaissez quelqu’un qui est victime de ce genre de situation. 

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