Kingsman: The Secret Service
Au-delà des adaptations au cinéma de romans ou même pièces de théâtre, les bandes dessinées transposées à l'écran sont nombreuses, notamment avec la popularité croissante des films de super-héros. Si les comics peuvent se permettre des scènes d'action éclatées au même titre que les films d'animation, les effets spéciaux font généralement un bon travail pour rendre justice aux illustrations.
Mark Millar, l'auteur du premier Kingsman, est un grand amateur de bandes dessinées, médium qu'il a découvert à l'âge de quatre ans quand son frère l'a amené dans une boutique pour lui acheter The Amazing Spider-Man #121. C'est à lui qu'on doit notamment Civil War (Captain America), Kick-Ass et Logan ayant tous été portés à l'écran récemment, mais aussi plusieurs autres numéros de la série Marvel et Ultimate Comics (Ultimate X-Men et Ultimate Fantastic Four, entre autres).
Millar écrit The Secret Service en 2012 avec Dave Gibbons, et bâtit ainsi un "Millarverse", où l'on retrouve déjà Kick-Ass. La série compte six chapitres parus séparément puis conciliés en un seul volume. Ce n'est toutefois qu'après la sortie du film que le titre est modifié pour ajouter y ajouter le désormais bien connu "Kingsman".
Il y a plusieurs différences notables entre la bande dessinée et le film, la première étant la thématique des "hommes du roi" sur laquelle on se base dans le film et qui n'est absolument pas présente dans les planches. En effet, la bande dessinée nous amène dans le monde de Gary "Eggsy" London, et on rencontre rapidement son oncle Jack, employé des services secrets britanniques. Alors qu'Eggsy vole une voiture, son oncle va le sortir de prison et lui propose ensuite de rejoindre les rangs de son organisation. Pas de grande différence ici, si ce n'est que le mentor d'Eggsy n'est pas un ancien partenaire de son père mais bien un membre de sa famille.
Si le film de Vaughn jouait avec la thématique royale en nommant ses personnages Lancelot, Merlin, Arthur et Galahad, la bande dessinée ne le fait pas et se concentre plutôt sur un entraînement militaire des recrues. On oublie donc les jeunes prétendants issus de familles aisées où Eggsy détonne. Tout le monde est égal au sein des rangs, et les lieux de la formation sont plutôt de l'ordre de militaire qu'aristocratique. Par ailleurs, s'il y a bel et bien une femme aspirante à l'organisation dans le matériel original, celle-ci n'est pas particulièrement importante puisque l'essentiel de l'intrigue se concentre sur Eggsy et quelques hommes. Le rôle important de Roxy à la fin du film est donné ici à l'un ou l'autre des hommes qui tentent de devenir le prochain Kingsman. Fait aussi important à noter : la bande dessinée ne mentionne pas qu'il n'y ait qu'un poste à pourvoir. La compétition entre les recrues est donc vraiment secondaire à l'intrigue.
Alors pas de "king's man", pas de Roxy, pas de Harry Hart (Colin Firth), mais le film démontre très bien l'éducation et le niveau de vie d'Eggsy. Dès le début, la bande dessinée présente sa mère et son conjoint, et leur relation est tout aussi malsaine dans l'un que dans l'autre. Si le film nous apprenait que Michelle avait une jeune fille avec cet homme, la bande dessinée nous dit plutôt qu'ils ont un garçon, un peu plus âgé que dans le film. Mais l'appartement, le langage, les vêtements, les hobbies, l'alcool, tout y est. Les planches sont effectivement remplies de jurons et de mots mal orthographiés qui servent à illustrer l'accent des personnages. Et en lisant, on peut véritablement sentir comment les gens parlent dans cet univers. Il est plutôt facile de transposer le tout à l'écran, mais on sent que les auteurs voulaient vraiment qu'on comprenne l'écart entre les conditions de leurs personnages, et c'est bien réussi à cet égard.
Cela dit, le film a pris plusieurs libertés quant à l'enquête au sujet de Valentine. Dans la bande dessinée, c'est bien le professeur Arnold (joué dans le film par Mark Hamil) qui est le vrai vilain, et non seulement un accessoire au magnat des télécommunications. L'ambition, dans les deux cas, est la même : la planète souffre d'une surpopulation importante, et il faut y remédier en poussant les gens à s'entretuer. La façon dont le tout est amené dans la bd est totalement différente cependant. Rapidement, on apprend aux nouvelles qu'il y a eu une tuerie lors de la célébration simultanée de plusieurs mariages sur une plage à Hawaï et que, donc, les ondes émises par les cellulaires pour inciter à la violence fonctionnent bien. C'est à ce moment que Jack se met à enquêter sur la chose. En parallèle, on voit peu Gazelle dans la bande dessinée, sauf quand il (car c'est un homme) se rend à la conférence d'un chercheur qui parle du réchauffement de la planète. On comprend ici que les rôles ont été modifiés, et il faut avouer que la plus grande présence des opposants dans le film est bienvenue. Dans les deux cas, l'intrigue se déroule en deux parties distinctes : l'entraînement et les cellulaires. Le film, toutefois, nous permet d'avoir davantage accès à Valentine et Gazelle, qui est dans son cas l'un des meilleurs personnages du long-métrage.
Si l'entraînement des recrues est bien différent dans la bd (pas de parachute ni de chien ici), la construction est similaire et on retrouvera Eggsy dans le repaire du vilain à la fin pour contrer ses plans. À ce titre, bien que la bande dessinée soit tout aussi violente que le film (plusieurs bras et têtes coupées dans ce cas-ci), la fin pourra surprendre si on a vu le film avant. En illustrations, tout se passe nettement plus rapidement, et alors que le film n'hésite pas à sacrifier quelques personnes au passage, les planches sont plus conservatrices dans leur dénouement.
Je n'avais jamais lu de bande dessinée pour adultes, et je dois dire que The Secret Service est bien efficace. En comparaison, le film a pris certaines libertés mais tous les choix sont à mon avis justifiés. On a accordé plus d'importance aux personnages qui en valaient la peine et on a fait d'Eggsy l'intrus dans une organisation sélective. Il sera rafraîchissant de voir que celui-ci ne rencontre pas autant d'antagonistes dans la bande dessinée mais l'ajout dans le film vient avec une certaine plus-value. Notons aussi l'entraînement, qui est nettement plus intense dans le film que dans la bande dessinée, ce qui accélère grandement le rythme. Notons aussi le dénouement, qui est quelque peu antithétique dans les planches et donc le changement dans le film est lui aussi bienvenu. Finalement, la thématique des hommes du roi est tout à fait charmante et j'étais surprise de voir qu'on ne le mentionnait jamais dans la bd.
Dans ce cas-ci, je pense que certains pourront préférer l'un ou l'autre et avoir d'excellentes raisons de le faire. En ce qui me concerne, je considère que la bande dessinée est un matériel de base convaincant, mais que le film lui est supérieur en raison des modifications qu'on a apportées.