Adaptation libre du roman-essai autobiographique signé Romain Gary, Chien blanc nous transporte au sein de la lutte pour les droits civiques aux États-Unis à la fin des années 1960. Gary (Denis Ménochet) est consul de France à Los Angeles, où il réside avec sa femme Jean Seberg (Kacey Rohl) et leur fils Diego (Laurent Lemaire). Seberg et Gary sont tous deux activistes à leur façon dans cette lutte polarisante divisant les Américains : l’actrice s’implique au front dans les manifestations, l’auteur essaie de jeter sur papier ses idéaux, côtoyant à l’occasion des membres des Black Panthers. Un jour, un chien errant surgit sur leur porche, et la famille décide de l’adopter. Cependant, elle constate rapidement que l’animal a été entraîné pour s’attaquer aux Noirs. S’enclenche alors une réflexion sur l’avenir du chien qui fait écho aux approches différentes de Gary et Seberg quant au militantisme.

Il est triste de constater que les changements sociétaux ne se sont pas effectués aussi rapidement qu’on l’aurait cru et, même, de remarquer une certaine régression des droits chez nos voisins du sud. Le mouvement Black Lives Matter est l’une des nombreuses initiatives pour signaler la discrimination et le racisme systémique qui s’opère aux États-Unis, et Barbeau-Lavalette nous le souligne avec force (et peu de subtilité) ici. C’est peut-être ce qui a guidé son désir de vouloir adapter ce roman quelque peu méconnu de l’œuvre de Gary, puisque ses thématiques, très actuelles, résonnent puissamment encore aujourd’hui. Mais la force du propos réside probablement moins dans ces tensions raciales que dans la conception du militantisme et le débat qui l’entoure.

Chien blanc dépeint en effet un portrait du syndrome de l’imposteur qui afflige plusieurs militantes et militants se dévouant à une cause qui n’est pas foncièrement la leur. Si on est Blanc, peut-on s’impliquer dans le mouvement pour les droits civiques des Noirs? Si oui, quelle doit être la teneur d’une telle implication? Les courants de pensées divergent encore aujourd’hui sur le sujet, mais on peut facilement transposer la question aux autres luttes sociales comme le féminisme, l’identité de genre et l’environnement. Un homme peut-il être féministe? Un.e hétérosexuel.le se battre pour la reconnaissance des personnes trans? La théorie voudrait que oui, que le plus grand nombre de personnes s’impliquant dans une cause va forcément la faire avancer plus rapidement. Mais dans la pratique, la situation est tout autre. Ce sont dans ces réflexions que le film est le plus efficace.

Le film n’essaie pas de nous donner une réponse définitive, loin de là. En fait, le contexte du récit d’origine est fertile pour observer comment ce sentiment a évolué depuis la fin des années 1960. D’autant plus que les causes semblent s’être multipliées dans les dernières années, et c’est, j’en suis certain, un questionnement qu’une majorité silencieuse semble se poser. Les deux facettes de la médaille y sont représentées. D’un côté, Seberg veut utiliser sa notoriété pour attirer l’attention des médias, mais elle devient malgré elle une distraction aux actions posées par les Noirs. À un certain point, une militante lui dit qu’elle devrait leur laisser leur cause, car c’est tout ce qui leur reste. Cette phrase choque, puisque vraie. De l’autre, Gary fait profil bas, mais sort de prison un jeune homme qui y était retenu, et l’aide à s’émanciper en le faisant retrouver sa copine blanche, enceinte, vivant à Paris. Dans les deux cas, leur support à la cause des Noirs est maladroite, mais sincère. C’est le message que l’on devrait retenir du film, la valeur fondamentale à la revendication : la sincérité.

Devons-nous demeurer passifs face aux injustices d’un groupe auquel nous n’appartenons pas? Nos protagonistes pensent que non, mais ils peinent à trouver leur place dans ce mouvement, ce qui impacte inévitablement leur couple, notamment en raison de ce « chien blanc » véritable analogie de la situation qu’ils vivent. Gary croit en la rédemption de l’animal, et espère, avec l’aide d’un entraîneur (K.C. Collins), pouvoir renverser sa condition et en faire un compagnon normal. Seberg, à voir les nombreux incidents causés par le chien, pense plutôt que c’est une cause perdue, et qu’il faut l’abattre plus tôt que tard. Ultime produit du racisme, le chien fera naître en eux des émotions contradictoires, entre optimisme et défaitisme.

On fait immanquablement le rapprochement d’avec les racistes, envers qui on se demande si on doit tenter de les conscientiser au multiculturalisme, ou ne rien faire. Doit-on tuer tous les racistes? Certains diraient que oui, d’autres adoptent un propos plus nuancé. On interpelle une fois de plus cette majorité silencieuse dans l’auditoire, souvent progressiste, qui ne sait pas trop comment agir et qui, de ce fait, n’agit tout simplement pas.

Denis Ménochet a connu du succès un peu plus tard qu’il ne l’aurait dû, mais il réaffirme ici sa place parmi les meilleurs acteurs français. Au physique imposant et au visage austère, l’acteur insuffle une sensibilité impressionnante dans son jeu. Aux frontières de la biographie et de la fiction, il tire son épingle du jeu et nous fait vraiment sentir la pression morale qui pèse sur ses épaules. Kacey Rohl, sans posséder le charisme de l’actrice qu’elle interprète, est également efficace dans les moments plus vulnérables comme ceux où elle doit se montrer forte. Collins s’avère quant à lui une belle découverte, d’une distribution secondaire toutefois moins bien exploitée.

Le défi de s’attaquer à une œuvre aussi poignante de Romain Gary était de taille, et Barbeau-Lavalette le relève avec brio. Les principaux défauts du film – construction assez classique, thématiques raciales surexploitées – sont compensés pas une distribution solide et l’espace de discussion qu’il entend créer. Peut-être au final un peu trop oubliable, Chien blanc peut néanmoins se targuer d’avoir voulu nuancer la notion de militantisme et, surtout, celle d’allié.e, en abordant de front un questionnement qui habite de nombreuses personnes, sans toutefois nous fournir de réponse concrète.

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