On associe beaucoup Akira Kurosawa aux films de samurai, et avec raison. Il a fait la renommée du Japon à l’internationale avec des succès comme Seven Samurai, The Hidden Fortress, Yojimbo et Rashomon, parmi tant d’autres. C’est donc normal que High and Low, de prime abord, fasse contraste dans la filmographie du réalisateur. Une histoire de kidnapping dans le Japon des années 1960 n’est pas le récit typique d’un Kurosawa. Pourtant, il y semble aussi à l’aise que lorsqu’il tourne ses films épiques, et parvient à élever une histoire policière typique au niveau de quasi-chef-d’œuvre.

Parlons d’abord du scénario qui, nous devons l’admettre, est tout simplement fabuleux. L’histoire se divise en trois parties. Dans la première, on suit l’industriel Kingo Gondo (Toshirô Mifune, l’éternel collaborateur de Kurosawa) qui, en secret, tente de prendre le contrôle de la compagnie pour laquelle il travaille en achetant la majorité des actions pour faire face à un conglomérat d’actionnaires qui veulent maximiser les profits de la National Shoes Company en diminuant la qualité et la durabilité des souliers pour femmes (de l’obsolescence programmée, en quelque sorte). Alors que Gondo doit finaliser l’achat des parts d’un autre actionnaire (au coût de 50 millions de yens), il reçoit un appel l’informant qu’on a kidnappé son fils Jun (Toshio Egi), et qu’on lui demande une rançon de 30 millions. Malgré le fait qu’il ait hypothéqué tout ce qu’il possède pour amasser la somme de 50 millions, il assure être prêt à payer n’importe quel prix pour sauver son fils. Seul hic : il apprend rapidement que ce n’est pas Jun, mais bien Shinichi (Masahiko Shimazu), le fils du chauffer de Gondo, qui a été ravi. Il se retrouve alors devant un dilemme : payer la somme pour un enfant qui n’est pas le sien (et ainsi perdre ses actions dans la compagnie et, essentiellement, tous ses biens) ou poursuivre son plan et prendre possession de la compagnie.

Cette première partie pourrait constituer le film à elle seule, mais elle n’occupe qu’environ 40 minutes sur un total de 143. L’action prend exclusivement place dans le salon de la résidence de Gondo, qui offre en plus une magnifique vue de la ville de Yokohama (c’était la véritable vue du studio, par ailleurs). On est donc plus dans le théâtre filmé que dans le cinéma pur et dur. Alors qu’on est en mesure de croire que l’histoire se déroulera en huis clos, Gondo décide finalement de payer la rançon (dans un magnifique segment tourné dans un véritable train à haute vitesse), et le 2e acte débute. Celui-ci se concentre davantage sur l’enquête de la police qui souhaite trouver le coupable et rembourser le montant à son propriétaire. Ce sont les détectives Tokura (Tatsuya Nakadai) et Tagushi (Kenjirô Ishiyama) qui doivent remonter la source de chaque indice qu’ils possèdent. Cette section est particulièrement intéressante, puisqu’on voit comment sont menées les enquêtes, et comment chaque indice est important dans ce genre de situation. Ayant trouvé le coupable, ils décident de lui tendre un piège pour le prendre en flagrant délit, et cette embuscade constitue essentiellement la 3e partie du film, où le dialogue laisse place à l’observation de la part des enquêteurs.

Répétons-le à nouveau : le scénario est un tour de force. Son aspect théâtral précédemment mentionné est tout simplement parfait, et dose chacune des parties à merveille. Librement inspiré du roman « King’s Ransom » d’Ed McBain (le pseudonyme d’Evan Hunter), Kurosawa et ses scénaristes récurrents (Hideo Oguni, Ryûzo Kikushima et Ejiro Hisaita) montent une histoire bien ficelée ou rien n’est inutile et tout est chorégraphié. Chaque ligne de dialogue est importante pour bien comprendre les subtilités du cas, surtout lors du 2e acte. J’avoue tout de même avoir ressenti une certaine longueur, un essoufflement même lors de la 3e partie, puisque je n’en voyais de prime abord pas la pertinence. Toutefois, elle revêt une importance capitale, et est si bien organisée qu’on ne peut que saluer le génie de Kurosawa qui parvient à rendre le kidnappeur (Tsutomu Yamazaki) particulièrement mesquin. Le récit est en effet bien plus qu’une éternelle lutte de classe (d’où le titre) : c’est l’histoire d’un homme de la classe populaire qui, s’étant élevé socialement, est retombé encore plus bas. J’oserais même dire que le scénario est si bien forgé qu’il est du calibre d’une pièce de Shakespeare. Ce n’est pas rien!

Certains diront peut-être que Kurosawa a joué gros en « réglant » le kidnapping après les 40 premières minutes. Cela enlève évidemment tout suspense dans le reste du film, et on ne ressent certes pas la tension présente dans un film policier du type « course contre la montre ». C’est un argument valable, mais qui pour ma part ne m’a pas déplu. On prend plaisir à voir se dérouler l’enquête, et c’était suffisant pour moi. En fait, je constate que le récit a souvent cet aspect anti-climatique qui peut laisser certains spectateurs pantois. On voit à quelques reprises les policiers se tromper dans leurs déductions, les menant ainsi sur de fausses pistes. La scène finale, quant à elle un simple dialogue entre Gondo et le kidnappeur à la prison, donne l’impression qu’un dernier revirement de situation est à venir. Il n’en est rien, mais cette scène est si bien rendue et lourde qu’elle a récompensé les 2h30 de visionnement.

Le jeu des acteurs n’occupe pas une place importante dans High and Low. Certes, on y retrouve une fois de plus le fameux Mifune, mais qui n’est présent que dans la première partie du film ainsi que dans la fantastique scène finale. Il est tout de même rafraîchissant de le voir dans un autre rôle que celui d’un samurai, qu’il a incarné à de nombreuses reprises dans le cinéma de Kurosawa et d’Inagaki, notamment. Ce sont plutôt les anonymes policiers et le charismatique, mais absent vilain (et ses lunettes de soleil miroitantes, rappelant presque le personnage d’Elijah Wood dans Sin City) qui font avancer l’histoire. On est davantage dans un film policier que dans une étude de personnage. Ce n’est pas nécessairement mauvais, mais il est difficile de s’attacher à l’un d’eux, malheureusement.

High and Low, c’est surtout pour moi une très belle surprise parmi la filmographie impressionnante de Kurosawa. Il représente ce qui fait de lui l’un des meilleurs réalisateurs de l’histoire : une mise en scène brillante digne de ses plus grands films épiques (notez comment chaque personnage est placé dans les scènes), une histoire prenante, des scènes spectaculaires et marquantes (je ne croyais pas voir une scène d’overdose à l’héroïne dans l’un de ses films, surtout pas en 1963) et un visionnement qui ne vous laissera pas indifférent. Il s’élève aux côtés de Rashomon dans mon palmarès des meilleurs films de Kurosawa à ce jour.

Fait partie de la Collection Criterion (#24).

Fait partie du top 250 d’Alexandre (#79).

1 commentaire

  1. La Collection Criterion (#21-30) – Ciné-Histoire sur juillet 21, 2020 à 3:32 am

    […] les deux précédents. C’est pourquoi j’ai placé plus hauts RoboCop de Paul Verhoeven, High and Low de Kurosawa, Picnic at Hanging Rock de Peter Weir et M de Fritz Lang, tous des films d’enquête, […]

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