Terry Gilliam est reconnu pour son style visuel atypique et ses histoires déjantées. Ayant fait ses classes avec les Monty Pythons, il poursuit dans le même esprit avec ses deux premiers films : Jabberwocky et Time BanditsAvec ce dernier, il établit d’ailleurs le premier opus de sa ‘Trilogie de l’imagination’, trois films centrés sur des personnages (à l’enfance, à l’âge adulte et à l’âge d’or) qui laissent aller leur imagination dans un univers qui ne le permet pas. Brazil, sorti en 1985, est le second volet de cette trilogie, et possiblement le film le plus accompli de Gilliam. Abordant de front l’industrialisation, la bureaucratie et la déshumanisation caractéristique de l’état d’esprit des années 1980, il propose des réflexions intéressantes sur l’autorité, la responsabilité et l’individualisme, dans un univers que personne ne souhaiterait habiter.

Sam Lowry (Jonathan Pryce), fonctonnaire au ministère de l’Information, s’évade de sa vie triste et monotone au moyen de rêves où il devient un super-héros ailé qui secourt une belle en détresse. Il a la surprise de découvrir en chair et en os la fille de ses rêves; elle s’appelle Jill (Kim Greist) et est camionneuse. Jill s’intéresse à la disparition d’un certain Buttle, victime d’une erreur bureaucratique (qui visait un plutôt un dénommé Tuttle). Pour mieux l’aider dans ses recherches, Sam obtient une promotion au service des renseignements, mais il devient rapidement suspect aux yeux de ses chefs.

Je dois l’avouer d’entrée de jeu : je suis exactement le public cible du film. Grand amateur de science-fiction et de comédies noires, Brazil a tout pour me plaire. Quand on y ajoute un visuel inspiré de l’expressionnisme allemand (très similaire à celui du cinéma de Tim Burton), on a, à mon avis, une formule gagnante. Toutefois, le film s’élève à un tout autre niveau en ne proposant pas seulement un récit original, mais également un film hautement pertinent. Certes, on emprunte plusieurs idées et thématiques à 1984 (au livre, mais aussi au film sorti l’année précédente), mais on les traite sous un angle humoristique, ce qui vient renforcer en quelque sorte le message véhiculé. On nous dit « Regardez comment la technologie et le fascisme ont déshumanisé la population… », et la comédie ajoute en sous-texte « …et voyez comment vous ne cherchez pas à vous en sortir ». Pas très joyeux, vous en conviendrez, et même la comédie ne parvient pas à nous égayer face à cette dystopie somme toute assez près de notre réalité.

Comment en est-on arrivé là? Dans ce film comme dans tous ceux de Gilliam, on ne possède jamais véritablement toutes les clés pour comprendre l’univers qui nous est présenté. La façon dont on aborde la technologie est paradoxale ici : on crée des inventions qui nous sont utiles, mais on leur ajoute des fonctionnalités qui les rendent impraticables, risibles même. Tout le monde est équipé d’ordinateurs, mais ceux-ci possèdent un écran si petit qu’il faut mettre une loupe devant l’image pour pouvoir la consulter. De même, le téléphone à roulette est agrémenté de diverses sources de branchement (similaire aux appareils des téléphonistes dans les années 1940), dont on ne voit pas l’utilité, mais le tout pourtant semble commun et accepté auprès de la population. En fait, les appareils ménagers sont à la fine pointe d’une technologie qui est plus inutile qu’autre chose au final. On souligne le travail de Norman Garwood et Maggie Gray au passage, qui nous offrent ici un univers très crédible, autant que cela soit possible (notez par exemple les nombreuses et sublimes affiches de propagande).

Certains diront que Brazil ne fait pas dans la subtilité lorsque vient le temps de critiquer l’autoritarisme de son univers. Je suis globalement en accord avec cette affirmation, même si je considère que l’objectif principal du film ne soit pas de critiquer le gouvernement (bien qu’il soit écorché à plusieurs niveaux), mais plutôt de nous inciter à ne pas tomber dans la facilité, et d’utiliser notre esprit critique, notre imagination, pour qu’une telle situation ne soit pas rendue possible. Ce message est peut-être difficile à discerner au premier coup d’œil (surtout avec la fin peu porteuse d’espoir), mais celle-ci s’explique parce que, dans cet univers parallèle, le point de non-retour a déjà été atteint. Toutefois, dans notre monde (ou plutôt celui de 1985), tout est encore possible, moyennant un effort collectif pour renverser la tendance.

Brazil est-il toujours aussi pertinent vu aujourd’hui? À mon sens, totalement. Il nous informe bien évidemment sur un état d’esprit qui régnait à sa sortie, mais nous indique qu’en 2020 tout n’est pas réglé. Est-ce que nos appareils intelligents nous sont réellement utiles pour nous aider dans nos tâches quotidiennes? Nous rendent-ils au contraire plus paresseux, ou nous enlèvent-ils des connaissances qui pourraient être utiles? Certains diront que oui, mais l’idée n’est pas de donner une réponse définitive dans le présent article. Sachez tout de même que Brazil saura résonner aussi puissamment aujourd’hui qu’à l’époque (comme plusieurs films de science-fiction, d’ailleurs).

Je pourrais parler longtemps du film, de ses thématiques ou de sa pertinence, mais Brazil est le genre de film qu’il faut voir pour pleinement prendre conscience de son ton et son univers. Mentionnons tout de même au passage la distribution hors pair (qui inclut Robert De Niro, Bob Hoskins, Jim Broadbent, Michael Palin et Ian Holm), menée d’une main de maître par un Jonathan Pryce au sommet de son art (à égalité avec The Two Popes). Kim Greist aura vu son rôle grandement diminué au montage (Gilliam n’étant pas satisfait de sa performance), mais elle saura vous charmer autant qu’à Lowry. Chacun semble pleinement investi dans la vision du réalisateur, et cela transparaît à l’écran.

Pour moi, Brazil est tout simplement un chef-d’œuvre. La perception qu’on a du film peut toutefois être très subjective, peut-être même davantage que d’autres films universellement reconnus comme tel (The Godfather ou The Shawshank Redemption, par exemple). Son univers très décousu et déstabilisant pourra assurément déplaire à un vaste auditoire, mais pour le cinéphile que je suis et qui a l’habitude des histoires conventionnelles, ce film est tout simplement unique (ou, du moins, seuls les autres projets de Gilliam s’y rapprochent). C’est un film rafraîchissant, très sombre et pourtant bien comique. À voir absolument, même si sa chanson-titre vous restera en tête plusieurs jours après le visionnement!

Fait partie de la Colleciton Criterion (#51).

Fait partie des 1001 films à voir avant de mourir.

Fait partie du top 250 d’Alexandre (#33).

1 commentaire

  1. Les faux films du temps des Fêtes – Ciné-Histoire sur novembre 21, 2020 à 11:20 am

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